Dieu, il est affolé quand un homme se perd, comme une maman quand elle perd un enfant. +

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No 75
journal du sappel / Mars 2009 Journal

Editorial.

PRENDRE LA PAROLE

Il est des expressions qui durent ce que durent les roses... ou les modes... peu de temps. Elles refont surface au gré des mouvements culturels ou religieux. Ainsi en est-il de "donner la parole aux pauvres." Dans les années 70, nous pouvions ainsi entendre un jeune drogué en région parisienne affirmer :" Je me drogue parce que ma mère ne m’a pas aimé." Tout le monde était satisfait, les jeunes s’exprimaient mais rien ne changeait, ni la situation, ni les jeunes ni ceux qui les accompagnaient. L’explication venait"colmater" un mystère de souffrance sans qu’aucune perspective ne soit offerte. Avec le recul nous pouvons peut-être émettre quelques réflexions, sachant que nous, communauté du Sappel, sommes loin d’avoir réussi à être en vérité avec les plus pauvres, à être réellement ajustés dans une parole commune qui fait de nous tous des frères et des sœurs.

Il y a d’abord l’expression "donner la parole aux pauvres." Au départ cette expression paraissait aller dans le sens du respect des plus faibles. On pouvait la considérer comme un progrès par rapport à tous les projets qui se font sans consulter les bénéficiaires, ou bien encore comme un début de libération, comme ce jeune drogué qui à partir d’une prise de conscience aurait pu aller plus loin.

Mais cela n’est pas satisfaisant. "Donner la parole aux pauvres" ne peut pas, structurellement, aboutir à sa visée. Pourquoi ? Parce que, profondément, personne ne peut donner la parole à un autre, de véritable parole, donc de parole libre. "Donner la parole", c’est maintenir, qu’on le veuille ou non, une différence de statut entre celui qui donne et celui qui reçoit ; la parole du donateur encadrant celle du récepteur, c’est téléguider une parole : il dira ce que nous voulons qu’il dise... Combien d’expériences n’avons-nous pas faites lors de rencontres où soit-disant les plus fragiles avaient leur place et pouvaient s’exprimer, et en fait ils n’étaient que le faire- valoir des idées des autres, l’alibi d’un discours convenu.

Comment s’en sortir ?

Il n’y a pas de parole absolue. Elle est toujours liée à celui qui parle et à celui qui écoute. La parole humaine ne peut qu’être prise.

Prendre la parole, c’est à la fois accueillir celle d’un autre et proférer sa propre parole. Je ne peux parler que parce que j’ai"saisi" la parole de l’autre, que je l’ai reçue comme une invitation à entrer dans ma propre parole. Autrement dit, les plus fragiles ne peuvent s’exprimer que parce qu’ils sont rendus capables de recevoir une parole authentique c’est à dire engagée, invitante. Ils ne peuvent prendre la parole que parce qu’ils savent qu’elle va être reçue, qu’elle va toucher l’autre, le transformer.

La prise de parole ne peut avoir lieu que sur la base de la réciprocité. Dans le même ordre d’idée Paulo Freire pouvait affirmer dans son livre "Pédagogie des opprimés :" Personne n’éduque autrui. Personne ne s’éduque seul. Les Êtres Humains s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde." Cela se joue dans un échange de parole humaine, mais aussi dans le partage de la Parole de Dieu. A travers la mémorisation nous avons expérimenté que lorsque nous permettons aux familles de recevoir la Parole de Vie, alors ils peuvent émettre leur propre parole, devenir commentateurs.

Le défi des vingt ans de la communauté du Sappel, si vraiment il s’agit de célébrer la fraternité, c’est de se demander comment permettre aux communautés chrétiennes d’attendre, de désirer la parole des pauvres pour qu’elle puisse surgir et être ferment de fraternité et de communion dans l’Eglise.

Pierre Davienne, diacre

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